Phytos : le flou demeure autour de la séparation de la vente et du conseil
Si la loi Duplomb met fin partiellement à la séparation de la vente et du conseil des produits phytosanitaires, cette obligation de séparation demeure faute des décrets d’application nécessaires.
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Faire et défaire. Deux verbes qui collent parfaitement aux épisodes législatifs de 2018 et de 2025 pour réglementer les activités de conseil et de vente des produits phytosanitaires. Si la loi Egalim de 2018 avait acté la séparation de ces deux activités pour prévenir les conflits d’intérêts et pour favoriser un conseil indépendant, la récente loi Duplomb du 11 août 2025 est revenue partiellement sur ce point.
Une évolution nécessaire
La réforme de 2018 entrée en vigueur au 1er janvier 2021 était de toute façon mal embarquée. Les conclusions d’un groupe de travail à l’Assemblée nationale publiées le 12 juillet 2023, dont un des rapporteurs était le député Stéphane Travert qui n’était autre que le ministre de l’Agriculture au moment des débats de la loi Egalim en 2018, aboutissaient à un « bilan très mitigé » de cette séparation. L’impact était également jugé « faible » sur l’usage des phytos.
La faute à « des effets contreproductifs que la réforme a pu produire mais aussi à sa faible application ». Les auteurs du rapport constataient alors que « l’offre de conseil s’est développée dans des proportions insuffisantes ». Seules deux coopératives avaient choisi à l’époque de se tourner vers le conseil. Ils estimaient de plus que « le passage d’un conseil formalisé à une absence de conseil ou, plus souvent, à un conseil oral et informel délivré par les vendeurs malgré l’interdiction paraît avoir diminué la qualité du conseil et serait générateur d’insécurité juridique ».
Une dualité entre conseil et obligation d’information
Le dispositif initial de 2018 interdisait à toute personne vendant des produits phytopharmaceutiques d’avoir en même temps un agrément de conseiller. Pourtant, le code rural impose aux vendeurs une obligation d’information : « Quand vous avez votre agrément de vente, vous devez impérativement informer l’acheteur, c’est-à-dire l’agriculteur, lui fournir des informations qui vont porter sur l’utilisation des produits, notamment la cible, la dose recommandée et les conditions de mise en œuvre, les risques pour la santé et l’environnement liés à une telle utilisation et les consignes de sécurité afin de gérer ces risques », expliquait le 10 octobre 2025 Carole Hernandez-Zakine, docteur en droit de l’environnement et consultante. Elle intervenait au 40e congrès de l’Association française de droit rural organisé à Poitiers sur le thème du conseil aux agriculteurs.
Cette dualité crée un flou entre le conseil et l’obligation d’information qui pèse sur le vendeur qu’un jugement du 27 mai 2025 du tribunal judiciaire d’Angers a illustré. Un agriculteur reprochait à un négoce de lui avoir fourni de mauvais conseils à la suite de la présence d’adventices sur ses parcelles et que l’entreprise avait fourni des conseils alors que cela lui était interdit en cumulant le conseil et la vente de produits phytosanitaires.
Les juges ont débouté l’agriculteur. Une affaire qui révèle « l’absurdité totale du dispositif », souligne Carole Hernandez Zakine. L’analyse de la décision montre que les juges ne comprenaient pas eux-mêmes très bien la situation, selon elle. « Le tribunal alterne entre les références du code civil et l’obligation pour les vendeurs de donner des informations appropriées, tout en utilisant en réalité le terme de conseil. Et en même temps, il constate que le code rural interdit à celui qui vend de conseiller ».
« Une demi-séparation »
Deux ans après le rapport des parlementaires, la loi Duplomb est la promesse d’une remise en ordre mais avec une ambition qui fut finalement réduite. Si le sénateur de LR de la Haute-Loire, Laurent Duplomb, souhaitait initialement abroger purement et simplement la séparation des activités de vente et de conseil, les débats parlementaires en ont diminué son champ d’action. Les distributeurs ne sont plus concernés par cette interdiction. Ils peuvent cumuler les agréments de vente et les agréments de conseils. En revanche, les fabricants de produits phytosanitaires sont toujours frappés par l’interdiction de cumuler ces activités.
« Une demi-séparation », c’est ce que la loi Duplomb met finalement en œuvre selon l’expression de Carole Hernandez-Zakine, ou mettra en œuvre plus précisément une fois que les décrets nécessaires seront publiés. Mais « s’il faut autant de temps pour écrire les textes que celui mis pour la loi de 2018, nous ne sommes pas arrivés au bout du monde, surtout avec la situation politique actuelle », ajoute-t-elle.
Des décrets en attente
« Cette loi nécessite beaucoup de décrets d’application. Ses mesures relèvent d’agréments différents et de conditions de certifications différentes qui devront être modifiés pour permettre aux vendeurs d’obtenir un double agrément compatible. » Un décret est également attendu concernant la création du conseil stratégique global facultatif, comprenant le conseil stratégique phytosanitaire qui devra être assuré par des conseillers compétents en agronomie. Il devra être soumis à l’avis du Conseil d’État, qui doit définir les exigences nécessaires à la prévention des conflits d’intérêts par le détenteur d’un agrément au titre de la vente, afin de garantir la qualité et le caractère objectif de ce conseil stratégique. Ce dossier est entre les mains de la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, qui a souhaité rester au gouvernement.
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